Anamorphose

Que l’on soit vampire ou humain, le passé d’un être laisse des marques indélébiles. Morgan avait toujours connu Dante ainsi : un puits de souffrance. L’histoire personnelle du Vénitien le hantait. Sa vie était devenue un enfer que seule l’écriture lui permettait de supporter. Après des décennies d’errance, Morgan le vit s’enfermer dans une prison de solitude. Son ami sombrait, se fermait à tous : humains comme vampires.

Les seuls qu’il tolérait étaient Cathal, l’immense chevalier vampire, et Morgan. Quant aux humains, ses relations avec eux étaient des plus sommaires. Dante ne parvenait plus à libérer son esprit. Les souvenirs de son passé étaient là, tapis dans les tréfonds de son âme.

Il n’avait jamais accepté sa condition.

Il revivait sans cesse le traumatisme de sa transformation. Il en était ressorti brisé à jamais. Sa pire souffrance restait ses nuits peuplées d’atroces cauchemars.

Morgan l’entendait si souvent hurler.

Dante se souvenait de tout.

La violence de l’attaque de Lucrezia. La panique ressentie quand les canines effleurèrent sa peau et déchirèrent sa gorge. La douleur épouvantable, le feu parcourant ses veines alors qu’elle s’abreuvait de son sang. Les soubresauts de son corps refusant la perte de son fluide vital. Son envie de crier, alors qu’aucun son ne pu franchir ses lèvres. Des larmes coulant sur son visage pendant qu’elle se délectait de sa vie. Son rire dément, ses humiliations, ses tortures…

Lucrezia… Dieu, qu’il l’avait maudit ! Tant de fois il lui souhaita la mort, sa délivrance…

Ces années firent de lui un être de haine, un sentiment éprouvé tant pour lui-même qu’envers ses semblables. Morgan et Cathal s’interrogeaient souvent. Comment avait-il fait pour ne pas se suicider et leur accorder son amitié, lui qui se détestait plus que tout ?

Tandis que Dante ressassait son infortune, d’autres aimaient ce qu’ils étaient. Car Cathal et Morgan n’avaient jamais regretté leur destin, l’un par choix, l’autre par hasard. Ils n’auraient pour rien au monde échangé leurs places. Pas même pour les beaux yeux d’une femme. Le premier était un guerrier implacable, amoureux du combat encore plus que de la gent féminine. Cependant, il ne se privait ni de l’un ni de l’autre. Quant au second, il concevait son existence comme une aventure et mettait à profit sa quasi-immortalité pour voyager par monts et par vaux.

Proches des humains, sans que jamais personne ne devine leur proximité, ils sont là, partout : votre voisin, votre banquier et peut-être même votre employeur, allez donc savoir… Quelque part entre rêve et réalité, ils sont là, dans ces invincibles ténèbres…